– Après tout ce que je viens de te dire, continue-t-il, en quoi cette Thug Life s’applique aux manifs et aux émeutes ?
Je prends une minutes pour réfléchir.
– Tout le monde est vénère parce que Cent-Quinze a pas été inculpé, je dis. Mais aussi parce qu’il est pas le premier à agir comme ça et à s’en sortir. Ça arrive régulièrement et les gens continueront à se révolter jusqu’à ce que ça change. Donc je crois que le système nous en balance en permanence, de la haine. Et au bout du compte, tout le monde se fait niquer.
Papa se met à rire et me tape dans la paume.
– Ouais, bien ! Fais gaffe à ton vocabulaire, mais c’est à peu près ça. Et on continuera à se faire niquer jusqu’à ce que ça change. Parce que la clé c’est ça : faut que ça change.
Je réalise peu à peu – violemment – à quel point tout ça est vrai et une boule se forme dans ma gorge.
– C’est pour ça que les gens ouvrent leur gueule, hein ? Parce que rien ne changera si on ne dit rien.
– C’est ça. On ne peut pas se taire.
– Alors moi non plus.
Nathan, pages 191-192
Starr a seize ans. Elle est noire et vit dans un quartier qui est le théâtre d’une véritable guerre des gangs. Tous les jours, elle va dans un lycée privé et doit jongler avec ses différentes personnalités : la noire au milieu des blanc.he.s, celle qui doit éviter d’être « trop » pour rester cool – trop fragile, trop en colère, trop visible, trop noire finalement –, et la Starr qui n’oublie pas d’où elle vient, ou à qui on le rappelle. Cet équilibre on ne peut plus précaire se trouve rompu lorsqu’un soir elle voit son ami Khalil se faire tuer par un policier. Elle est la seule témoin. Entre peur, horreur et rage, se pose pour elle la question de la nécessité, ou non, de la parole et de l’action.
J’ai été très agréablement surprise par cette lecture. Après en avoir entendu beaucoup parlé, j’avais peur que ce soit bourré de bons sentiments. A priori injustifié apparemment. Car Angie Thomas a une écriture fluide qui nourrit autant l’émotion que la colère. Elle aborde un grand nombre de sujets et parvient à donner vie à des sentiments vibrants et une réelle réflexion. The Hate U Give est un roman qui donne la voix à un propos politique. J’ai aimé comment la lucidité sur la difficulté, voire l’impossibilité, du combat n’entame pas la conviction.
L’assassinat de George Floyd et les manifestations contre le racisme et les violences policières, suite notamment à la mort d’Adama Traoré – pour ne parler que de ce qui très récemment a eu de l’espace médiatique –, donnent encore plus de résonance à cette lecture. Quoique, le problème étant profondément systémique, il y a fort à parier que le propos est depuis longtemps d’actualité, et risque malheureusement de le rester.
Un livre que j’aurais envie de mettre entre bien des mains pour m’épargner la fatigue de débats sans fin, une fiction au service de la lutte, où le racisme n’a pas de droit de réponse.
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