Agnès Desarthe, Ce qui est arrivé aux Kempinski

Desarthe - Ce qui est arrivé aux KempinskiJe ne crois pas à la vie éternelle. Je ne crois pas non plus à la mort éternelle. J’envisage que les disparus reviennent sous forme de crocus ou de lièvre. La conviction n’est pas mon fort. Le cimetière de Pantin m’a plu immédiatement. Je ne sais pas comment sont les autres, mais j’ai été surprise d’y voir tant d’arbres, d’y retrouver les vieilles fontaines en fonte des squares de mon enfance, et d’y sentir cette odeur de campagne, de feuilles cuites par le soleil et d’herbe chaude. Je me suis dit que j’avais une chance incroyable de pouvoir apprécier tous ces détails. Je redoutais de croiser une famille endeuillée, une vraie, une qui se fiche pas mal des rameaux et des coussinets de mousse aux abords des trottoirs, une qui pleure, qui souffre, dont les genoux se dérobent à la vue du trou. Les miens étaient fermes et nous étions seules, Irma Waltz – car c’est ainsi que se nommait la responsable des Pompes funèbres parisiennes – et moi, face à la fosse dans laquelle les employés avaient déposé le cercueil de tonton Achille. Je fixai le couvercle en bois, m’efforçant d’éprouver du chagrin. La chaleur qui entoure nos épaules et nos bras, tonton Achille ne la sent pas, me suis-je dit. Ses yeux fermés ne distinguent aucune clarté. Pas une pensée dans son esprit. Il est aussi inerte qu’un caillou du chemin. En lui, les souvenirs, les songes demeurent séquestrés à jamais.

Éditions de l’Olivier, pages 94-95

J’essaie souvent de faire un petit résumé du livre que je chronique, mais pas cette fois. Après un temps à fixer le clavier, à feuilleter le recueil, à effacer ce que je n’ai pas encore écrit, je me dis que c’est entreprise vaine. Que raconter ? 14 situations initiales ? 14 protagonistes ? 2-3 retournements de situation ? Non. Car ces situations n’ont rien d’initiales, elles sont continuellement taquinées et détournées par l’autrice. Car je ne saurai décrire intelligemment ses personnages, spécialement en quelques mots. Car ôter le charme de la découverte c’est fausser l’équilibre de la prose d’Agnès Desarthe.

Quatorze nouvelles pour se laisser emporter, accepter de ne pas comprendre, voir se transformer le rationnel en irrationnel. En effet, lorsque le quotidien devient irréel et que la pesanteur ne fait plus le poids, le familier se transforme et le paradoxe s’expose au grand jour. J’aime la manière dont Agnès Desarthe mène un chemin parallèle au réalisme, en le frôlant de temps à autre, mais sans s’y fondre.

De la même autrice, lisez Une partie de chasse, Le Remplaçant, Poète maudit, Je ne t’aime pas, Paulus, La Chance de leur vie et Naissances.

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