Lola Lafon, La Petite Communiste qui ne souriait jamais

Lafon - La Petite Communiste qui ne souriait jamaisNadia s’apprête, ce jour-là, à réaliser un salto classique. Est-ce son corps qui, pour ne pas mourir, cherche une échappatoire au moment où ses mains glissent et qu’elle rate la barre, son bassin cogne violemment le bois ? Béla a bondi vers elle mais trop tard, de toute façon, si elle… ça sera toujours trop tard. Elle a réussi à s’agripper à la barre qu’elle a lâchée. Il lui propose un verre de limonade, une pause, elle refuse, très pâle, comme si elle allait vomir, puis se ravise, désorientée, abasourdie et surexcitée, aussi, car elle n’a pas chuté. Ils se taisent.

Babel, page 75

Montréal, 18 juillet 1976, Jeux Olympiques, épreuve de gymnastique. Dans son justaucorps blanc orné d’une étoile, les couettes serties de rubans rouges, une fillette fait sauter les ordinateurs. 90 secondes de perfection qui forment une petite révolution. 1,00, une virgule qui n’est pas programmée pour pouvoir se déplacer. Nadia Comaneci défie la gravité, l’âge adulte et la Russie dans le même temps, à coups d’équilibre, de saltos, de muscles, de volonté et de supers E. Devenue symbole de réussite du communisme roumain, elle inspire des sentiments proches de la dévotion, à l’Est comme à l’Ouest.

Lola Lafon nous emmène sur les pas de cette virtuose, avec une émotion et un intérêt non feints. Le roman est ponctué de dialogues rêvés entre l’auteure et la gymnaste, qui apportent du relief à cet ouvrage, mettant en relation son histoire personnelle et la grande histoire politique et sociale de cette seconde moitié du XXe siècle. Elle évoque en lumière et en zones d’ombre la vie dans la Roumanie de Ceauşescu. L’écriture à deux niveaux évite le manichéisme et souligne l’impuissance à saisir la réalité d’un monde aujourd’hui disparu, étranger à nos habitudes.

Si Nadia a émerveillé par sa silhouette gracieuse et fluette, le monde a du mal à lui pardonner de grandir. Fantasme de pureté elle est, fantasme de pureté elle doit rester. Personne ne lui agrée le moindre changement. Ses formes nouvelles viennent en superposition de son squelette, sont étrangères à son corps, à elle-même. Outre l’entraînement auquel Belà la soumet, c’est un combat quotidien qu’elle mène contre la faim. Et le talent de l’auteure réside dans sa capacité à nous parler de tourments, tout en les mettant continuellement en perspective. Il ne s’agit pas d’un roman-dénonciation ni d’un roman-obsession, avec poésie, elle allie admiration, réflexion et tentative de compréhension.

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