Martin Winckler, Les Trois Médecins

Winckler - Les Trois médecinsOuais, les médecins ne sont pas des gens faciles. Les médecins, ça connaît des trucs qu’on n’imagine même pas. Les médecins, ça sait sur nous des choses qu’on aimerait mieux ne pas savoir. Les médecins, ça fait peur.

Les médecins, parfois, on aimerait savoir ce que ça a dans la tête. Mais on se le demande jamais. Ça fait trop peur d’y penser.

Les médecins, on se demande d’où ils sortent. On se demande s’ils se souviennent qu’ils n’ont pas toujours été médecins. On se demande s’ils ont été jeunes, un jour. On se demande si ça leur est arrivé de souffrir et d’avoir à aller chez le médecin.

Parce que, s’ils sont vraiment si éduqués que ça, pourquoi a-t-on parfois le sentiment qu’ils ne savent pas dire ni bonjour ni au revoir ni pourriez-vous me prêter une cuillère ni s’il vous plaît ni merci, ni un geste en sortant ni un sourire en passant quand on les croise dans l’escalier ?

C’est vrai, quoi, certains médecins sont tellement malpolis qu’on se demande qui les a élevés.

Jusqu’au moment où on se met à travailler dans une faculté de médecine.

Et là on comprend.

Enfin, quand je dis qu’on comprend, je ne veux pas dire qu’on accepte que tant de médecins soient si mal embouchés, si mal aimables, si mal élevés, si malotrus, si malfaisants.

Mais qu’on soupçonne comment ils le sont devenus. Ou restés.

Parce que les études de médecine, c’est pas une éducation. C’est la douche écossaise. Du chaud qui brûle, du froid qui glace, sans prévenir, pendant toutes leurs études.

Deux années de concours pour éliminer ceux qui ont du sentiment, ceux qui ont de la gentillesse. Les plus faibles, les plus fragiles – ceux qui nous ressemblent le plus.

Et puis pendant les deux années qui suivent, on leur dit qu’ils vont être les meilleurs… s’ils ne relâchent pas leurs efforts. S’ils font exactement ce qu’on attend d’eux. S’ils suivent bien les enseignements de leurs professeurs. S’ils apprennent tout par cœur. Sils ne se laissent pas distraire. Par rien. Et surtout pas par eux-mêmes.

P.O.L, pages 164-165

Les Trois Médecins ou les trois mousquetaires du soin. Forcément, ils sont quatre : Bruno Sachs, André Solal, Basile Bloom et Christophe Gray. Quatre pour qui « médecine » rime avec « accompagnement », « soin », « attention » et « éducation ». Quatre à combattre l’apprentissage et la pratique de la médecine dans ce qu’ils ont de plus consumériste, méprisant, écrasant et néfaste. Dans un chassé-croisé de 1973 à 2003, ce récit polyphonique nous emmène dans les couloirs et les amphis de la fac de médecine, de café en chambre d’étudiant. Il égrène les combats d’une époque – encore contemporaine : le droit à l’avortement et à la contraception, à un enseignement humain sans humiliation, la défense de la médecine générale, la place des femmes dans le corps médical et la société. Entre engagement moral et politique, c’est une histoire d’amour, d’amitié, de vie, de mots et de mort, sur fond de roman d’aventures.

Quel plaisir de retrouver d’Artagnan armé d’un stéthoscope et d’une bonne écoute. Tout y est : la jument jaune, les duels à répétition, les ferrets de la reine… Peut-être le scénario est-il parfois cousu de fil blanc, mais c’est pour une bonne cause et le tout fonctionne. Dans une langue fluide, Martin Winckler parvient à nous régaler tout en forçant la réflexion. Un bel hommage aux soignants et à la littérature.

Du même auteur, lisez La Maladie de Sachs.

Découvrez aussi La Fille du docteur Baudoin de Marie-Aude Murail et Le Reste est silence de Carla Guelfenbeim.

Ecoutez les premières pages !

4 Replies to “Martin Winckler, Les Trois Médecins”

  1. Moi aussi…. Parce que je l’ai reçu en cadeau de Noël à Pâques et tout est dans le décalage… Et puis, du Chœur des femmes à la Maladie de Sachs, on ose rêver à une médecine empathique… Alors, trois médecins d’un coup !!!

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