Anne Percin, Bonheur fantôme

Percin - Bonheur fantômePendant que je me marrais, R. est allé chercher dans un tiroir deux petits couteaux dont il a frotté les lames l’une contre l’autre pour les affûter. Je continuais à regarder la bête. Ses gros yeux ronds étaient opaques, sa bouche entrouverte laissait voir ses dents jaunes. Quelle pitié que ce soit si joli, un lapin ! Avec un poisson ou une poule, on n’aurait pas eu tant de scrupules. J’avais posé les carottes de Paulette à côté. Le tout évoquait un tableau de Rosa Bonheur qui est à Bordeaux, on y voit deux lapins fauves contemplant avec enthousiasme un tas de carotte et un gros navet jaune. Sauf que dans son tableau, les lapins sont vivants. Nous, on faisait dans la nature morte.

Babel, page 87

Pierre a quitté Paris, sa thèse sur Simone Weil, ses amis et le mannequinat pour s’installer à la campagne, faire les brocantes et écrire la biographie de Rosa Bonheur, une peintre féministe du XIXe siècle qui peint des vaches – entre autres. Il a surtout quitté R., cet homme qu’il craignait tant de perdre. Alors, à La Flèche, il vit du minimum : minimum d’argent, minimum d’émotions et minimum de sentiments. Sauf qu’à défaut d’argent, des émotions et des sentiments, Pierre en a à revendre, qui bouillonnent en sourdine sous son crâne et dans son ventre, qui remplissent le vide de rien et le rien d’amour. Dans ce paysage calme peuplé de personnages épars, il apprend peu à peu : à dépecer les lapins et à dompter ses fantômes.

Une quête identitaire en pays sarthois, pourquoi pas. Écrite par Anne Percin, avec plaisir. Au final, un roman haut en couleurs, où pudeur et provocation entrent en harmonie. L’on découvre peu à peu l’histoire de Pierre en même temps qu’il apprivoise son existence. Humour, douleur et douceur parsèment son chemin où le deuil a laissé sa marque, à côté de l’insécurité, du bonheur et des erreurs. Bonheur fantôme porte bien son nom : sous couvert de peu d’événements, c’est le tourbillon d’une vie qui cherche à se vivre.

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